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11/11/2019

Lettre à Madeleine (Novembre 1916)

Ma chère Madeleine,

Je t’écris cette lettre profitant de ces quelques rares rayons de soleil au lever du jour. Cela fait plusieurs jours qu’il pleuvait sans discontinuer et nous déplacer dans ces maudites tranchées devenait un calvaire, aspirés par cette boue gluante et collante. J’espère que le temps va bientôt être plus sec. Nous aurons toujours froid, je le sais, mais au moins nous ne serons plus trempés des pieds à la tête.

Dans moins de deux heures un assaut est prévu. Le haut commandement a décidé de lancer une contre offensive massive ce matin pour reprendre cette butte pour laquelle tant de nos camarades sont morts. Mes propos vont sans doute t’étonner mais dans les camarades, j’inclue aussi nos opposants. Après tout ils sont comme nous les « boches », pour la plupart, ils n’ont rien demandé à personne et surtout, pas à être là.

Ta douceur, ta chaleur, ta voix, tes yeux, tout en toi me manque cruellement. C’est à la fois une joie intense et une tristesse infinie qui m’envahissent chaque fois que tu es dans mes pensées, c’est à dire à chaque instant. Ils me manquent aussi notre petit village, notre petite maison, ma classe et mes élèves turbulents, la cour de l’école où je rêvais de voir un jour s’ébattre nos futurs enfants.

Cette lettre ne te parviendra sans doute jamais car on ne nous autorise qu’à remplir un document réglementaire avant chaque bataille, la censure est partout, il ne faut pas donner une mauvaise image de nous à l’arrière. Ici, la mort est partout, elle nous tient la main en permanence, prête à nous entraîner avec elle dès qu’elle le pourra. Tout n’est que boue, grisaille, bruit. L’odeur est infecte, les rats grouillent de partout, nous avons froid tout le temps mais ce qui est le plus difficile à supporter ce sont l’ennui et cette indicible peur qui nous tenaille le ventre en permanence.

Tant de mes copains sont déjà morts que j’ai arrêté de compter mais avec Jacques, le forgeron de Plapeville (une ville près de Metz), nous nous serrons les coudes. La camaraderie nous permet de tenir et j’espère qu’il pourra partir à la prochaine permission pour voir sa petite fille née il y a quelques semaines. J’espère aussi que nous pourrons fêter mes 22 ans dans 3 jours. Grâce au colis que tu m’as envoyé avant hier, je partagerai avec Jacques et les copains pour mon anniversaire.

Je termine cette lettre à la hâte car dans quelques minutes, il va falloir « sortir ». Je vais la cacher dans une gamelle en attendant de te la faire parvenir comme je pourrais. Au mieux, nous la lirons ensemble lors de ma prochaine permission, blottis l’un contre l’autre. Ma douce Madeleine , mon aimée, mon amour, je t’envoie mille baisers. Les mots ne sont pas assez forts pour dire combien je t’aime et combien tu me manques.

Ton Armand .

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Armand était le jeune instituteur d’un petit village du Cambrésis. Il a été tué quelques heures après avoir écrit cette lettre à son épouse Madeleine. Il a disparu lors de la bataille de Verdun le 11 novembre 1916, son corps n’a jamais été retrouvé. Il n’aura jamais eu 22 ans...

Cette lettre est une pure fiction mais toute ressemblance avec des personnes ayant existé est totalement volontaire. Elle a pour but de rendre hommage à toute cette génération qui a alimenté cette énorme boucherie que fut la première guerre mondiale, à tous ces jeunes hommes quels que soient leurs origines ou leur « camp » qu’on transforma en chair à canon et qui sont morts en vain. Vingt ans plus tard, les braises encore chaudes de ce conflit mondial allaient alimenter un foyer de haine et de violence et entraîner le monde dans un second conflit plus meurtrier encore.

(KDEF 2016)

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